Article d’Iléana Cornéa - critique d’art
(Philosophe de formation, Iléana travaille en particulier pour la revue Artension)
« J’aime me réinventer sans cesse » nous confie Patricia Langrand. Polytechnicienne, elle dessine depuis toujours. Il y a 5 ans, elle échange son travail de chef d’entreprise contre le travail assidu et solitaire de l’atelier. « Qu’est-ce que la forme parfaite ? » se demande-t-elle. Tournant le dos aux visages, aux nus et aux intrigues de l’existence humaine, elle regarde vers d’autres temporalités : la mer, l’océan, les coquillages recroquevillés dans leur spirale logarithmique, les poissons lymphatiques, silencieux au regard rond, fixe, les fleurs qui ennoblissent la surface de la terre ou alors les oiseaux qui prennent leur envol. Ses yeux se posent sur le charme d’un port de pécheurs où s’accumulent des barques colorées résistant aux flots. Au crépuscule dans la lagune, elle s’arrête pour contempler la vie mystérieuse des flamants roses, introduisant alors dans sa peinture les bandes colorées rythmant la perspective, tout en mimant l’effet mouillé de l’horizon, La vie en rose, L’orgueilleux … Dans l’espace symbolique de la toile, la géographie structurante de la géométrie cherche à conquérir la beauté libre de la nature. Sa peinture prendra un nouveau tournant.
Géométrie et poésie
Contrairement à Auguste Herbin (1882-1960) lequel, pour construire son « cubisme fonctionnel » avec carrés, cercles et segments précis, utilisait le compas et la règle, Patricia Langrand trace ses formes géométriques à main levée. Elle semble vouloir donner à ses figures l’impulsion vive de son corps, d’où la vibration de lignes, de carrés, de segments qui accueillent la matérialité grumeleuse des couleurs. Elle construit certes, mais ses leitmotivs figurés : poissons, oiseaux, coquillages, tables, chaises de jardin, fleurs, reviennent en filigrane, se logeant entre les lignes de ses géométries abstraites comme des écritures secrètes pour dire que les formes de la nature et les formes de l’esprit se correspondent. Dans la nuit , Bleus , L’hibiscus, Rêve d’Océan …
Intérieurement, le murmure des mathématiques et du nombre d’or la taraude encore et encore. Dès lors, la volute de Fibonacci s’immisce dans la poésie muette de ses œuvres, pointant sa forme dans les ouïes du violoncelle, la spirale du coquillage, le cou des flamants roses, le fer forgé travaillé du mobilier du jardin. Elle s’enroule seule dans La vague ou cherche à s’accorder à la rythmique cadencée de ses abstractions. Elle rappelle les spirales des rinceaux réguliers des grecs anciens qui plaisent par leur seule forme sans aucun autre lien au réel. C’est du moins ce que le philosophe E. Kant explique lorsqu’il essaye de définir la beauté. Sa représentation graphique telle un étrange signe ventru promet des naissances infinies.
Et lorsque Patricia Langrand s’intéresse à la danse, les mouvements de ses danseurs décrivent des trajectoires en cercle, en quart de cercle, en ovale. Leur membres ajustés évoquent le modulor de Corbusier où veille « l’œil abstrait » de Fibonacci: La joie de la danse, Le plongeon.
Depuis 2021 elle réalise une nouvelle série rappelant certains arrangements paysagers de Paul Klee. Il n’y subsiste plus aucun élément figuratif, comme si tout ce qui est sur terre et dans les airs pouvait être réduit à ce que le philosophe George Steiner appelle «l’autre musique de la pensée « (…) les « hautes mathématiques ». Tout semble avoir été avalé par les formes géométriques où nous y devinons aisément des architectures et paysages magiques avec des vols d’oiseaux, des palmiers, de la joie et du mouvement. Ici proportions et émotions calculent réciproquement leurs portées, dans des couleurs irradiant de l’intérieur : Reflets…
Ileana Cornea Paris juillet 2022